Se familiariser à un voilier (3e partie)

Un cockpit (neuf?) de voilier.

Ce troisième texte fait partie d’une série expliquant comment se familiariser à un voilier. Il couvre la familiarisation au cockpit, aux systèmes électriques et aux systèmes embarqués. Le premier texte de cette série décrit comment se familiariser à une coque, à un moteur et au gréement d’un voilier. Le deuxième texte sert d’exemple et applique la recette du premier texte à un Contessa 32.

Une inspection de familiarisation d’un voilier vise à faire le tour des systèmes pour apprendre à utiliser le voilier efficacement. C’est plus détaillé qu’une inspection de départ, mais moins détaillé qu’une inspection pré-achat, ou une inspection pour faire un inventaire des réparations à faire. Ce qui la délimite dépend du Skipper. L’idée est de mettre du temps sur ce qu’on doit maîtriser et de mettre moins de temps sur les choses qu’on connaît déjà. Avec le temps et l’expérience, les inspections de familiarisation se bornent à noter les différences notables par rapport à un modèle de « voilier générique ».

Lorsque pertinent, les sections ci-dessous sont séparées en niveau: élémentaire, intermédiaire, avancé. On peut ainsi lire les sections en fonction de son expérience.

L’organisation du Cockpit

La familiarisation au cockpit (ou au bridge sur les plus gros voiliers/catamarans) vise à répondre à deux questions intimement interreliées:

  1. À quoi peut-on avoir accès tout en restant à la barre?
  2. Qu’est-ce qui nous oblige à quitter la barre pour fins d’usage?

Ces deux questions servent d’intégration pour comprendre quels seront les mouvements quotidiens du Skipper. De toute évidence, on peut contrôler le gouvernail, l’écoute de grand-voile et la propulsion moteur à partir du cockpit. Selon la configuration, on pourra contrôler davantage: le génois sur enrouleur, les écoutes de génois, l’autopilote ou les instruments de navigation tels que le compas magnétique ou l’ordinateur de bord.

Inversement, identifier ce qui n’est pas accessible à partir du cockpit est utile. Sur les voiliers destinés à la location (ang.: bareboat charter), la plupart des instruments de navigation sont accessibles. Sur des voiliers personnels, tout peut changer. En matière d’accessibilité, les premiers coupables sont généralement la radio VHF, le radar et parfois le démarreur électrique du moteur (souvent à l’intérieur). Peu importe ce qu’ils sont, se faire une bonne idée de ce qui nous demande de quitter le cockpit est un bon exercice.

Finalement, l’identification des éléments spécifiques à un voilier qui sont au cockpit sont aussi utiles. Certains on des points d’accès au moteur, d’autres des contrôles à la stéréo, aux pompes ou encore à un système d’extinction d’incendie.

Un seul des deux côtés permet de contrôler le moteur auxiliaire. Pouvez-vous l’identifier?

Les cockpits quasi-symétriques, ceux ayant une barre à la fois à tribord et à bâbord (image ci-dessus), sont de bons exemples où il faut porter attention aux spécificités. D’ordinaire, un côté aura plus d’instruments de contrôle et l’autre en aura moins.

On peut facilement identifier les angles morts et les mouvements à faire en dedans et en dehors du cockpit en réfléchissant à différentes tâches telles que jeter l’ancre, faire un appel radio, allumer les feux de navigation, démarrer le moteur d’urgence, jeter une bouée à l’eau, ou encore prendre un ris. Selon le degré d’intégration du voilier, on pourra faire ses tâches directement du cockpit.

Ce n’est pas particulièrement difficile que de se familiariser à un cockpit. Pour employer une analogie avec une voiture, c’est l’équivalent d’identifier où sont les clignotants, le contrôle de essuie-glaces ou encore le contrôle des lumières. La différence fondamentale est que plusieurs opérations courantes de voilier (accostage, ancrage, ajustement aux voiles) ne ramènent pas nécessairement tout les instruments de contrôle au « volant ».

Systèmes électriques

Un circuit électrique de voilier.
Un circuit électrique de voilier.

Selon votre capacité à comprendre les systèmes électriques, on peut se référer aux niveaux détaillés ci-dessous.

  1. Élémentaire:
    • Apprendre à se servir du panneau de contrôle 12V/24V.
    • Identifier où sont les branchements à quai et les opérations associées.
    • Identifier où sont les batteries et leurs disjoncteurs principaux.
    • Faire un tour des pompes de cale électriques.
  2. Intermédiaire:
  3. Avancé: comprendre le profil de charge des batteries.

Connaissance élémentaire des circuits électriques

Un panneau de contrôle de voilier.

L’idée est d’apprendre à utiliser les éléments de base du système électrique (au panneau de contrôle) et de savoir isoler les batteries au besoin. La tâche la plus importante consiste à identifier le fonctionnement du panneau de circuits électriques. (Et sur certains voiliers qui ont été grandement modifiés ou bricolés, la deuxième tâche consiste à identifier l’emplacement du deuxième panneau de contrôle, caché quelque part derrière une armoire!).

Pour faire des tests pratiques, c’est très utile d’être deux: une personne au panneau de contrôle, et une autre qui fait le tour des systèmes (feux de navigation, VHF, etc.) pour identifier si les systèmes ouverts répondent bien aux interrupteurs. Il ne faut pas s’étonner si les circuits ne sont pas correctement identifiés sur un panneau de contrôle.

Les interrupteurs de batterie

Les interrupteurs de batteries sont généralement de gros disjoncteurs rouges ou oranges. Ils sont rarement éloignés des batteries et se trouvent souvent au pied des couchettes ou sur le tableau de bord principal (images ci-dessous). L’objectif est de voir quelles configurations des batteries est normale et quelles configurations peuvent servir en cas d’urgence.

Interrupteurs sous forme de leviers.
Interrupteurs sous forme de boutons.

Avant de manipuler les interrupteurs, c’est une bonne idée de demander à la personne qui vous confère le voilier de vous dire quels sont les usages normaux. L’idée est que les configurations sont variées et bien que ce texte fournisse deux exemples généraux, ils sont loin de couvrir tous les cas. Il faut se renseigner.

La première question à se poser consiste à identifier si on peut débrancher les batteries si le bateau est branché au quai ou si le moteur tourne. Dans le doute, c’est mieux de penser que non. À moins d’avoir un mécanisme de protection des batteries, les isoler alors qu’elles sont en charge est une recette pour, au choix, faire un court circuit, ou pour détruire l’alternateur du moteur. Avant de manipuler les interrupteurs, il est donc très sage de s’assurer de le faire quand le circuit est isolé du quai et que le moteur est éteint.

La plupart des interrupteurs offrent l’option de combiner les banques de batteries (voir l’étiquette combine batteries sur les interrupteurs de l’image de droite, ci-dessus). Pour savoir si c’est une bonne idée, il faut vérifier si la chimie des batteries est compatible.

Un arrangement très fréquent de batteries est d’avoir une banque pour la vie à bord (lumières, ventilateurs, réfrigérateur, etc.) et une autre banque pour le démarrage du/des moteur(s). La tendance moderne est d’avoir des chimies spécifiques à chacune de ces fonctions. Les batteries au lithium fournissent une petite demande sur de longues décharges, ce qui les rend plus appropriées pour les besoins à bord.

Inversement, les batteries acide-plomb (ou au gel) peuvent fournir une grande décharge sur de petites périodes, ce qui les rend plus adaptées pour le démarrage du moteur. Conséquemment, sur des systèmes à chimie différentes, mettre toutes les batteries sur un même circuit n’est à faire qu’en cas d’urgence (e.g.: la batterie moteur ne permet plus de démarrer le moteur). Autrement, on endommage les batteries en tentant d’amalgamer des comportements chimiques différents.

Sur les voiliers de location, c’est très fréquent que toutes les batteries aient la même chimie, notamment parce que c’est un design plus robuste aux erreurs de clients qui s’y connaissent moins. Similairement, c’est plus facile sur le plan de l’entretien: il suffit d’avoir qu’une seule marque de batterie pour d’éventuels changements. Dans un tel cas, les batteries de service et de moteur sont interchangeables et les circuits peuvent être communs. Il est tout de même prudent de garder les batteries dédiées au moteur pour son démarrage.

Bref, les interrupteurs de batteries ont généralement trois configurations d’usage: une où les batteries sont complètement isolées (e.g. pour les débrancher), une pour la conception normale (généralement séparées) et une autre configuration en cas d’urgence (e.g. pour alimenter le moteur en cas de démarrage de fortune).

C’est essentiel de comprendre quels sont ces arrangements avant de jouer avec les interrupteurs de batteries. Et si ce texte décrit deux arrangements populaires, il y en a possiblement d’autres. Comprendre ces spécificités est utile pour d’éventuelles réparations ou pour des usages improvisés (… et intelligents!).

Le branchement à quai

Le branchement à quai est aussi une opération où on souhaite comprendre les subtilités de l’installation du voilier. Sur les voiliers modernes, il suffit de brancher. Sur des voiliers plus vieux, c’est possible que le branchement à quai requiert la fermeture d’un disjoncteur pour que le courant soit acheminé aux circuits internes.

C’est aussi utile de comprendre quel type de circuit est installé sur le voilier: simple alimentation à bord, chargement des piles ou les deux. Les systèmes les plus fréquents ont un contrôleur de charge jumelé à un inverseur/chargeur, chargeant simultanément les piles et donnant du courant au voilier. Si l’électricité est pas votre force, la manière le plus simple consiste à apprendre la procédure de branchement à partir de la personne qui vous fournit le voilier. Autrement, si on est avertis, on peut tracer les circuits de l’intérieur et déduire les propriétés du circuit de quai.

Connaissances intermédiaires des circuits électriques

J’ai déjà rédigé des textes sur les batteries, les contrôleurs de charge, sur le bilan énergétique de son voilier et sur le design de circuits électriques à bord. Pour de longues croisières, savoir faire un bilan énergétique approximatif du voilier est un excellent exercice. Ça permet d’évaluer s’il y a suffisamment de panneaux solaires, à quel point il faut démarrer les moteurs, et s’il faut revoir ses ambitions de consommation électrique.

Similairement, faire le plan des circuits électriques du voilier est une bonne idée. C’est la prélude à des réparations efficaces. Il faut s’armer d’une bonne lampe de poche, d’un voltmètre et de quoi dessiner l’arrangement des câbles.

Connaissances avancées sur le circuit de charge des piles

La question d’application pratique est simple et centrale à l’usage: combien de temps reste-t-il avant que les batteries ne soient déchargées? Pour une réponse simple, il faut généralement un lecteur montrant, via un calcul de conversion adapté aux piles, les ampères-heures ou le pourcentage de charge disponible. Ce lecteur peut être intégré au tableau de bord, ou encore disponible sur une application de téléphone communiquant avec les batteries via bluetooth.

Cela dit, en dehors des lecteurs fancy, avoir une idée de l’état de chargement des piles demande d’avoir un voltmètre et de comprendre leur profil de charge.

Ce sont les fabricants qui vont fournir ce type d’information. Ci-dessous, le profil de charge de batteries de marque Renogy est illustré. L’état de charge (SOC, ou state of charge) est indiqué en fonction de la lecture de voltage aux bornes. Par exemple, une batterie 12V est à 70% de sa capacité de charge si elle affiche 13.2 Volts aux bornes. A contrario, une batterie 12V qui affiche 12V aux bornes est une batterie à 10% de sa capacité.

Pour les batteries acide-plomb standard, il n’est pas recommandé de décharger les piles plus que 50% pour maintenir leur durée de vie. Les batteries au lithium ont une plage de décharge plus grande (et son plus coûteuses).

Un tableau illustrant l’état de charge (SOC) en fonction du voltage de la batterie.

Une bonne familiarisation demande donc de chercher les profils de charge des batteries sur le site des fabricants. Quand les ados veulent une heure de plus à regarder leur tablette, ou quand deux ou trois experts argumentent sur l’état des piles, avoir ce tableau à bord est une bonne manière d’avoir l’heure juste.

Et précisons l’évidence: il serait très mal avisé de prendre les informations de profil de charge d’un fabricant pour les appliquer aux batteries d’un autre fabricant, surtout si la chimie des batteries vendues est différente.

Les systèmes embarqués

Évitez d’avoir à débloquer une toilette pendant vos vacances.

Les « systèmes embarqués » est un terme relativement générique au point où il comprend tout et rien: toilette, poêle, propulseur d’étrave, ordinateur de bord, radar, désalinisateur et ainsi de suite. C’est une excellente idée que de se familiariser avec chacun des instruments à bord, mais ce texte se limitera ici à trois éléments de vie à bord: les toilettes, le poêle et le désalinisateur.

Les toilettes

Dans la compagnie de location de voiliers où j’ai été Skipper, la politique de location stipulait qu’une surcharge de 350$ s’appliquait aux clients si un voilier revenait avec une toilette bloquée. Pour un Skipper, cette politique est une excellente manière de se garantir un pourboire additionnel en débloquant une toilette pour les clients. Mais après quelques expériences … débordantes, c’est encore mieux de s’assurer que les clients apprennent à se servir de la toilette. Le vidéo ci-dessous vaut milles mots.

On trouve de toute sur Internet… notamment comment utiliser une toilette marine.

En lien avec la toilette, trois caractéristiques additionnelles méritent d’être identifiées lors d’une familiarisation. D’abord, identifier où se situe la valve d’orientation des eaux noires. D’ordinaire, un voilier a un réservoir d’eaux noires et une valve permet d’orienter ces eaux soit vers le réservoir, soit dans l’eau. Identifier où se situe cette valve est une bonne manière d’éviter que le réservoir déborde par mégarde. C’est une bonne idée de vérifier périodiquement les réservoirs: si on se trompe par erreur, c’est mieux de prévenir que de nettoyer un fond de cale.

Ensuite, l’identification de la valve est une bonne occasion d’identifier si la/les toilette(s) est/sont dotée(s) d’un syphon anti-retour. Ces syphons évitent que la toilette ne se remplisse avec de l’eau de mer… et ne déborde. Sur les voiliers qui n’ont pas ce syphon et qui ont une toilette sous la ligne d’eau, il faut fermer le passe-coque d’alimentation d’eau après usage. Autrement, on peut couler le voilier avec la toilette!

Finalement, c’est une bonne idée que d’identifier la taille du réservoir d’eaux noires. On peut l’apprendre par expérience, mais si on est incapable de trouver les données du fabricant, une estimation volumétrique conservatrice (largeur x longueur x hauteur) et préférable à l’optimisme … débordant.

Le poêle

La majorité des poêles sont au propane. Un examen de la ligne de propane est une bonne idée, en partant de la bouteille et en se rendant jusqu’à chaque point de combustion. Les standards modernes de construction de voiliers imposent que le propane soit stocké dans un compartiment externe qui est percé à sa base et va vers l’extérieur. Ce n’est pas rare que les bouteilles soient sous un siège de cockpit. De cette manière, si une bouteille coule, le propane – plus lourd que l’air – s’échappe à l’extérieur du voilier. Inutile de préciser qu’un réservoir plein de propane (ou un fond de cale plein de propane!) n’est pas une bonne idée.

On vérifiera l’état de la ligne d’acheminement du propane, de même que le régulateur situé sur la ligne. On cherche des signes d’usure ou des fuites. L’odorat demeure le meilleur test. On peut bien sûr colmater une fuite avec les moyens du bord (duck tape), mais c’est préférable de réparer/changer une fuite avant de partir. À cet égard, c’est une bonne idée d’avoir quelques plans de nourriture qui ne requièrent pas le poêle si jamais le propane venait à manquer. Le conseil s’applique aussi aux frigidaires ou congélateurs!

Le désalinisateur

En théorie, un désalinisateur transforme l’eau de mer en eau potable. La marque et le modèle permettra, après une courte recherche en ligne, d’identifier sa capacité de production (e.g. 60L/heure) à la sortie de l’usine. En pratique, c’est un appareil capricieux, qui est souvent bricolé et qui consomme beaucoup d’électricité. Se renseigner sur la routine d’usage est important, notamment s’il a été réparé ou bricolé.

Les désalinisateurs les plus simples ne requièrent que d’appuyer sur un bouton. Les plus robustes demandent généralement de les armer (primer) pour qu’ils atteignent une pression suffisante, puis il faut enclencher le mode de production. Certains modèles demandent également de nettoyer les filtres (backwash) pour fins de maintenance. Si on quitte pour de longs voyages, prévoir des pièces de rechange et un plan de consommation d’eau avec un désalinisateur brisé est une pratique sage.

Conclusion

Il y a autant de systèmes embarqués différents qu’il y a de marques de voiliers. Il y a une grande variété de systèmes à couvrir et comprendre. Ce texte parle de poêle, de toilette et de désalinisateur, mais il y en a beaucoup d’autres: régulateur d’allure, propulseur d’étrave, guindeau électrique, pilote automatique, système de navigation électronique, téléviseur, radio et radar. L’usage des radios VHF/MF requièrent des qualifications gouvernementales pour s’en servir et rappelons qu’au Canada, il est encore tenu d’avoir des cartes de navigation en papier à bord des bateaux. Comprendre comment fonctionne et comment se servir d’un radar est probablement un texte complet en soit.

Pour tout système embarqués, les meilleur conseils génériques sont de savoir comment les opérer (manuel du fabricant, conseils d’usage de la personne qui vous confie le voilier), d’avoir des pièces de rechange, et d’avoir un/des plans alternatifs quand ces systèmes viennent à faire défaut.

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