
Ce texte fait une mise-à-jour du rapport de Pêche et Océan de 2016 en précisant simultanément l’état de la législation et l’intention du législateur en matière d’obligation détenir des cartes en papier à bord d’un bateau de plaisance. Il examine le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, les États-Unis et le Canada. Il examine également ce qu’affirme l’Organisation maritime internationale (IMO). Le centre d’attention du billet est sur les embarcations de plaisance (voiliers) et sur les cartes. Il est donc préférable de consulter d’autres références pour d’autres types d’embarcations, ou encore pour d’autres obligations.
Cette analyse permet de voir la tendance internationale ainsi que le positionnement du Canada face à cette tendance.
Organisation Maritime Internationale
La convention SOLAS, Chapitre V, règlement 19 exige que tout navire doit avoir à bord des cartes de navigation (IMO, 2002). On précise qu’un Système de visualisation de cartes électroniques et d’information (SVCEI ou ECDIS en anglais) est un substitut acceptable. Un SVCEI n’est pas n’importe quel système de navigation électronique, mais doit répondre à la résolution A817(10) de l’IMO qui spécifie notamment un besoin de redondance et d’alimentation indépendant du système d’alimentation électrique courant (IMO, 1995). En d’autres termes, un ordinateur de bord typique d’un voilier ne répond pas à la définition de SVCEI. Conséquemment, l’obligation de carte papier s’applique là où la juridiction de l’IMO s’applique.
L’IMO a juridiction de par la ratification des traités et des conventions par les pays membres. Ce faisant, l’application de la convention SOLAS doit être examiné à l’égard des lois en vigueur dans une juridiction spécifique, notamment à l’égard d’exceptions. En des termes clairs, la convention SOLAS s’applique si la loi d’un pays dit qu’elle s’applique.
Canada
État de la loi
L’article 103 du Règlement de 2020 sur la sécurité de navigation précise que les embarcations de plaisance ne sont pas assujetties à la convention SOLAS (Ministère de la Justice, 2020). Le même règlement précise cependant aux articles 142 et 143 que les navires ont l’obligation de respecter des dispositions similaires à la convention SOLAS en matière de cartes (id. 2020), c’est-à-dire d’avoir des cartes à jour et adéquates à bord (de même que la liste des feux, les avis aux navigateurs, etc.). L’article 142 accorde une exception pour les navires de jauge brute de moins de 100 tonnes (!):
[…] si sécurité et l’efficacité de la navigation ne sont pas compromises du fait que la personne chargée de la navigation connaît suffisamment, à la fois, dans la zone où le bâtiment est appelé à naviguer :
Règlement sur la sécurité nautique (art. 142).
- a) l’emplacement et les caractéristiques des éléments cartographiés suivants :
- (i) les routes de navigation,
- (ii) les feux de navigation, les bouées et les repères,
- (iii) les dangers pour la navigation;
- b) les conditions de navigation prédominantes, compte tenu de facteurs tels les marées, les courants, la situation météorologique et l’état des glaces.
Bunzel, dans son article sur l’avenir des cartes en papier au Canada, précise qu’un ordinateur de bord servant à la navigation (Navionics, OpenCPN, etc.) pourrait très bien être interprété par [traduction libre] « des connaissances locales suffisantes » (Bunzel, s.d.). Évidemment, ce n’est que son interprétation!
D’autres exceptions existent, notamment si les cartes du secteur navigué n’existent pas. L’article 143 reprend quant-à-lui la définition d’un SVCEI et l’attestation que c’est un substitut au carte en papier.
Intention
À ma connaissance, il n’y a pas de document gouvernemental attestant l’intention du Gouvernement du Canada d’amender les obligations précisées dans le règlement sur la Sécurité nautique. Cependant, le Service Hydrographique Canadien démontre clairement une initiative à digitaliser ses cartes marines et à compléter sa transformation d’ici cinq années (SHC, 2022). La dernière modification de la page web étant en 2022, on peut donc dire que le calendrier de cinq années est au plus tard pour 2027. La page web fait cependant la promotion du matériel électronique et fournit plusieurs manière qu’un « utilisateur » puisse se les procurer.
États-Unis
État de la loi
La National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) présente une page sommaire sur les obligations de port de cartes au États-Unis (NOAA, s.d.). En particulier, le Titre 46 du Code fédéral des lois précise, à son article 26.03-4 que [traduction libre] « tout navire doit avoir des cartes adéquates, à jour et d’échelle appropriée pour une navigation sécuritaire » (Electronic Code of Federal Regulations, 2023). La loi n’est donc pas différence de la convention SOLAS. Cependant, son interprétation par l’administration américaine est différente.
Intention
La directive NVIC-01-16, émise conjointement par la Garde Côtière américaine et le Ministère fédéral de la sécurité intérieure (Homeland Security), stipule que pour fins d’inspection, des cartes électroniques sont assimilées à des cartes papier aux fins de nécessité d’avoir des cartes à bord (United States Coast Guard and Department of Homeland Security, 2016). La posture américaine est donc interprétative: sa loi n’a pas été amendée pour permettre les cartes électroniques, mais c’est seulement l’interprétation de la loi par l’administration gouvernementale qui a changée.
Royaume-Uni
État de la loi
Les Gardes Côtes du Royaume Uni fournissent un compendium des différentes législations applicables aux navires de plaisance de moins de 24 mètres dans leur Maritime Guidance Note 280 M (Maritime and Coastguard Agency, 2004). L’article 19.1 fait état des obligations en matière de carte en papier. En substance, les obligations sont les mêmes qu’au Canada, à savoir qu’un navire devrait avoir des cartes avec lui sauf s’il y une connaissance manifeste du plan de navigation à bord (id., 2004).
Intention
Le Service hydrographique du Royaume Uni (United Kingdom Hydrographic Office, UKHO) a annoncé son intention de cesser la production de cartes en papier pour 2030 (UKHO, s.d.). Leur posture est engagée vers la migration à l’électronique en poussant une réglementation internationale cohérente:
La tendance à l’usage des cartes électroniques est indéniable. […] De par sa nature, la plupart de la navigation commerciale et de plaisance est internationale et le UKHO croît fermement qu’une approche internationale est la voie à prendre. Nous avons ainsi déployé des efforts à l’international pour réduire les incohérences législatives sur la navigation digitale des navires sans cartes en papier.
Traduction libre de UKHO (s.d.)
Stickland (2023) rapporte que l’intention gouvernementale est de faire en sorte que les ordinateurs de bord soient approuvés comme substituts à des cartes papiers pour 2030 (Stickland, 2023).
France
État de la loi
La législation française semble permettre la navigation sans carte en papier. Dans le rapport de l’Organisation Internationale Hydrographique, le gouvernement français affirme [traduction libre] « qu’aucun changement législatif n’est à faire, car la navigation sans carte est déjà permise » (International Hydrographic Organization, 2020). D’autres sources provenant du Gouvernement français seraient cependant les bienvenues pour renforcer cette compréhension.
Australie
État de la loi
La section 224 de la loi australienne stipule que c’est une offense de ne pas avoir de cartes à bord, précisant notamment que des cartes électroniques sont des cartes (Gouvernement de l’Australie, 2012). A contrario, cela signifie qu’un navire avec des cartes électroniques à bord ne contrevient pas à la loi. Cette interprétation est également confirmée par le Service Hydrographique du Gouvernement de l’Australie (Australian Hydrographic Office, s.d.). Tant que les cartes électroniques sont celles officiellement produites par le Gouvernement de l’Australie, les navires de plaisance seront réputés satisfaire aux lois et règlements du pays.
Conclusion
En substance, les pays analysés ont déjà migré, ou sont en train de migrer vers un environnement de navigation sans papier. C’est le Royaume-Uni qui mène la charge de coordination à l’international. La navigation sans obligation de carte en papier est une réalité aux États-Unis, en Australie et semble l’être également en France. Le Royaume-Uni entend rejoindre le groupe d’ici 2030, alors que le Canada n’affiche pas d’intention claire. Comme le souligne Bunzel (s.d.), les efforts d’inspection en cette matière sont très minces au Canada. C’est peut-être la stratégie implicite canadienne: un laisser-faire qui finira par changer l’interprétation législative, comme l’a fait les États-Unis.
Références
Australian Hydrographic Office (s.d.). Electronic Charting Information, page web récupérée en ligne en septembre 2023 à partir de cette adresse.
Bunzel, M. (s.d.). The Future of Paper Charts, Canadian Yachting, page web récupérée en ligne en septembre 2023 à cette adresse.
Electronic Code of Federal Regulations (2023). Title 46: Shipping, loi récupérée en ligne en septembre 2023 à partir de cette adresse.
Gouvernement de l’Australie (2012). Navigation Act 2012, No. 128, 2012: An Act relating to maritime safety and the prevention of pollution of the marine environment, and for related purposes, document récupéré en ligne en septembre 2023 à partir de cette adresse.
International Hydrographic Organization (2020). The Future of the Paper Nautical Chart: Final Report, document récupéré en ligne en septembre 2023 à cette adresse.
International Maritime Organization (s.d.). Hydrographic Data, Nautical Charts and Nautical Publications, page web consultée en ligne en septembre 2023 à cette adresse.
id. (2002). SOLAS Chapter V – 1/7/02: Safety of Navigation, document consulté en ligne en septembre 2023 à cette adresse.
id. (1995). Resolution A817(19): Performance Standards for Electronic Chart Display and Information Systems (ECDIS), document consulté en ligne en septembre 2023 à cette adresse.
Maritime and Coastguard Agency (2004). Small Vessels in Commercial Use for Sport or Pleasure, Workboats and Pilot Boats – Alternative Construction Standards, document récupéré en ligne en septembre 2023 à partir de cette adresse.
Ministère de la Justice (2020). Règlement de 2020 sur la sécurité de la navigation DORS/2020-216, document consulté en ligne en septembre 2023 à cette adresse.
National Oceanic and Atmospheric Administration (s.d.). Chart Carriage Requirements, page web récupérée en septembre 2023 à cette adresse.
Service Hydropgraphique Canadien (2022). Transformation numérique au SHC, document récupéré en ligne en septembre 2023 à cette adresse.
Stickland, K. (2023). Withdrawal of Admiralty paper charts delayed until 2030, Practical Boat Owner, article récupéré en septembre 2023 à partir de cette adresse.
United Kingdom Hydrographic Office (s.d.). The UKHO supports regulation of digital charting for vessels sailing without dual ECDIS, document récupéré en ligne en septembre 2023 à partir de cette adresse.
United States Coast Guard and U.S. Department of Homeland Security (2016). Navigation and Vessel Inspection Circular No. 01-16: Use of Electronic Charts and Publications In Lieu of Paper Charts, Maps and Publications, document récupéré en ligne en septembre 2023 à cette adresse.