
Officiellement intitulé « Capitaine, avec restrictions, bâtiment d’une jauge brute de moins de 60 », le « Capitaine 60 » est un brevet professionnel canadien délivré en vertu de la loi de 2001 sur la marine marchande. Il permet de faire des activités commerciales à voile. Il confère tous les pouvoirs… et toutes les responsabilités propres au titre de capitaine.
Par une belle journée ensoleillée, avec de beaux vents constants de 10 nœuds, j’ai réussi les deux derniers examens menant à la délivrance du brevet. Je décrit ci-dessous 10 réalités associées à son obtention.
1. La certification est propre à un bateau
Le brevet de Capitaine 60 est propre à un bateau. Il n’est pas universel et il n’est pas transférable. Le bateau que vous désignerez pour l’examen sera donc le bateau où vous pourrez être capitaine. Conséquemment, l’évaluateur adaptera les pré-requis et votre examen en fonction du navire visé. Un examen de Capitaine 60 pour un remorqueur ne sera pas le même que pour un bateau de travail général, ou encore pour un voilier.
Comme j’ai fait l’examen pour un voilier, il faut comprendre que certains éléments ci-dessous peuvent être différents pour un autre type de navire. Dans l’image ci-dessus, on peut voir le brevet et l’inscription de « limitations ». L’une d’entre-elle porte sur la validité du brevet pour seulement deux navires à voile (qui ont été caviardés).
2. Il faut des prérequis compilés par Transport Canada
Les prérequis en matière de connaissance et de temps de mer cumulés sont établis dans la norme TP2293 de Transport Canada. Il faut au moins deux mois cumulés en temps de mer sur un bateau similaire à celui pour lequel on cherche le brevet.
Le cumul de temps de mer se fait en vertu des règles édictées par la loi sur la marine marchande. Le cumul au registre demande au préalable un numéro de candidat (l’équivalent maritime d’un numéro d’assurance sociale).

En matière d’examen, il faut réussir « Carte et pilotage, niveau 1 », « sécurité de la navigation, niveau 1 » et, selon le bateau, d’autres examens portant sur la construction et la stabilité des navires. Les deux premiers relèvent de la capacité d’un candidat à naviguer et à se repérer sur des cartes. Le second examen vise à évaluer les connaissances sur le Règlement international de prévention des abordages en mer (RIPAM).
La nécessité de réussir d’autres examens est à la discrétion de l’évaluateur, selon le bateau visé. Les examens de construction et de stabilité du navire visent d’abord les navires d’acier, si bien qu’il est possible de ne pas avoir à les faire pour un voilier.
La réussite de ces examens sera peut-être un élément limitant la capacité d’accéder au brevet. L’examen de carte et pilotage demande une bonne connaissance des techniques de navigation côtière. Notez que j’ai fait Carte et pilotage, niveau 2, si bien que le niveau 1 est probablement plus facile. En matière de comparaison, le niveau 2 demande au minimum de maîtriser l’équivalent du niveau intermédiaire de navigation côtière de Voile Canada et quelques techniques plus avancées. Il faut également connaître les techniques de calcul des niveaux de marées. Si on emploie la convention d’annotation de Voile Canada, il faudra être prêt à l’expliquer à la fin de son examen, car elle est moins employée par les évaluateurs, utilisant des conventions de la marine marchande.

L’examen de sécurité de la navigation comprend 100 questions à choix de réponse portant sur les priorités sur l’eau, de même que les règles pour éviter les abordages. Il faut connaître le RIPAM de fond en comble, incluant les modifications canadiennes et une partie des annexes, et savoir l’appliquer en toutes circonstances.
Il faut également avoir les certifications de base en matière de premiers soins, de même qu’une certification de fonctions d’urgence en mer. Ce sont des cours séparés qu’il faut suivre en amont de la certification. Le cours de formation d’urgence en mer dépendra des activités commerciales qu’on souhaite accomplir sur le navire. En particulier, si on vise le transport de passagers, la formation sera plus exigeante.
Finalement, il faut détenir un certificat d’opérateur radio restreint commercial (ROC-MC). Il faut avoir cette certification en amont de l’examen. C’est presque le même certificat que celui destiné à la plaisance, à la différence près qu’on couvre le système GNDSS, les zones de couverture radio et les fonctionnalités propres à l’appel sélectif numérique.
3. L’évaluation exige (au moins) deux examens pratiques

La certification demande un examen pratique et un examen oral. L’examen pratique se passe sur l’eau et ressemble à toute évaluation tirée d’un cours de voile. Peut-être plus proche de la mentalité de la Royal Yachting Association que de Voile Canada, votre évaluateur ne vous connaît pas et testera des connaissances générales liées à la maîtrise du bateau: accostages, récupération de personnes à la mer et manoeuvres générales. Il faut avoir suffisamment de connaissances de manœuvre pour exécuter avec confiance tout ce qu’on demande. L’évaluateur ne suit pas un syllabus défini.
Il ne faut pas non-plus se surprendre si des surprises « apparaissent » pendant l’évaluation. Détachée par l’évaluateur, j’ai du retourner attacher une écoute de génois pendant l’examen. Ce n’est rien de particulièrement difficile, mais illustre bien qu’on testera vos capacités à régler des imprévus sur l’eau.
L’examen oral porte sur des connaissances générales de matelotage, sur les procédures d’intervention en cas d’urgence (feu, avaries, etc.) et sur des connaissances générales de navigation. On vous demandera peut-être de faire des nœuds, de décrire les caractéristiques des bouées, ou encore de répondre à des questions générales sur le RIPAM. Assurément, on vous demandera de détailler tout l’équipement de sécurité nécessaire sur le bateau, de même que son usage.
En tout et pour tout, on doit prévoir une demi-journée pour les deux examens.
4. C’est une évaluation… et non un cours
Le titre dit tout. L’évaluateur… vous évaluera. Il n’est pas là pour vous dire quoi faire, ni pour vous donner un cours. Il faut arriver sachant que ce sera un examen.
5. Le brevet vient avec une restriction géographique

Le brevet de Capitaine 60 vient avec une restriction quant à la zone d’opération. Il ne permet pas, par exemple, de faire des voyages internationaux. Ces restrictions peuvent dépendre du propriétaire du bateau (si ce n’est pas le vôtre) … ou des restrictions de votre compagnie d’assurance. Les restrictions géographiques peuvent varier à la discrétion de l’évaluateur.
En ce qui me concerne, le brevet comprend un limitation géographique (caviardée dans l’image) donné par des villes et par une distance maximale de cinq milles nautiques des côtes. C’est cette limitation en distance qui je trouve la plus agaçante. Pour faire de la navigation hauturière de manière commerciale, il est probable qu’on exige le brevet de Capitaine 150, ou les examens d’astronavigation et de météo de Transport Canada. Quoiqu’il en soit, ça change un peu du Yachtmaster Ocean, qui n’a aucune restriction de distance.
6. Le bateau servant à l’examen doit correspondre au brevet
Le bateau doit faire plus de cinq tonneaux de jauge brute et, évidemment, moins de soixante tonneaux. Si le navire fais moins de cinq tonneaux, l’évaluateur pourrait vous refuser le brevet et vous rediriger vers un certificat de conducteur de petit bâtiment. Similairement, il n’est pas possible de faire l’examen sur une embarcation de plaisance. Le voilier doit donc être enregistré à titre de bateau de travail, navire de formation, navire transportant des passagers ou tout autre enregistrement commercial. Autrement dit, le brevet ne reflète pas que vos compétences, mais doit également être justifié par le bateau qui sera employé.
7. On évalue également le bateau
L’évaluateur examinera tout ce qui traite de ses responsabilités, incluant le matériel de sécurité et l’état de navigabilité du navire. À titre d’exemple, pendant mon évaluation, l’inspecteur a souligné l’absence de radio VHF doté de capacité ASN sur le voilier. Or, c’est un pré-requis des navires commerciaux, et il m’a bien fait comprendre que ce serait une bonne idée de remplacer la radio avant une prochaine visite surprise. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’examen est holistique et comprend l’état du bateau.
8. Vous avez droit à un équipier ignorant
Vous pouvez choisir un équipier pour vous aider à manœuvrer le voilier. Cependant, l’évaluateur spécifie clairement que cet équipier est un « automate », au sens où il ne peut pas prendre d’initiative, ni suggérer des manœuvres, ou attirer l’attention sur un éventuel problème. Il ne peut que suivre des instructions détaillées (choquer/border, hisser, etc.).
9. L’accent est sur la sécurité
Autant l’examen oral que l’examen écrit est axé sur la sécurité. L’évaluateur pose beaucoup de questions sur les situations catastrophiques: avarie, bris moteur, incendie à bord, maladies à bord, effet de surface libre, etc. A contrario, on évalue moins l’élégance de vos manœuvres, ou encore le réglage de vos voiles. Sans surprise, l’évaluateur vous fera faire un exercice de récupération de personne à la mer. L’exercice est complet: l’évaluateur voudra voir votre technique pour remonter une personne inconsciente à bord. C’est utile d’avoir une procédure réfléchie (drisse fixée à un hauban, sling sous les bras, etc.).
10. On vous demande des procédures écrites
Pendant l’examen, on m’a demandé de détailler une procédure de gestion d’incendie à bord pendant la nuit. J’ai bien sûr détaillé cette procédure, à l’oral, avec amplement de détails. Puis, l’évaluateur m’a immédiatement répondu : « vous êtes mort : à quel endroit l’équipage peut-il trouver le plan de lutte aux incendies? ». Au delà de former l’équipage aux procédures d’urgence, l’évaluateur a bien pris la peine de me souligner l’importance d’avoir par écrit à bord un plan d’urgence pour un ensemble de scénarios.
Conclusion
Pour une personne moyennement expérimentée à voile, l’examen pratique ne sera pas particulièrement difficile. J’ai fait des examens pratiques plus exigeants. La difficulté est plus dans la gestion des pré-requis et des procédures d’urgence renforcées qui sont propres aux activités commerciales. Personnellement, j’ai apprécié l’exercice, notamment pour m’initier à la mentalité de Transport Canada en matière d’examens pratiques. Et bien sûr, le brevet confère toutes les responsabilités et pouvoirs d’un titre de capitaine.